exposition / passée
Athanor
Prix indépendant à la 66ème édition de Jeune Création
Avec le soutien aux galeries ( à la première exposition ) du CNAP, Centre national des arts plastiques
Avec la participation de ARCAM GLASS et 47°NORD
Athanor ,
par Léa Bismuth
« Le sacré est précisément comparable à la flamme qui détruit le bois en le consumant », écrit Georges Bataille dans Théorie de la religion. Par ces mots, celui-ci nous amène à penser un acte de sacrifice, le sacrifice étant précisément ce qui permet d’accéder au sacré, c’est-à-dire à ce qui est à la fois interdit et séparé. Cela passe par une transformation de la matière par le feu, par une consumation, qui détruirait tout en révélant. Le feu est bien ce qui produit à la fois du résidu (de la cendre), mais aussi de la lumière (une éclaircie, même éphémère, de la chose même). Comme la flamme d’une chandelle brulant sous nos yeux dans l’obscurité. Alors, il serait possible de transformer la chose triviale, pour la rendre plus haute, c’est-à-dire poétique. L’acte de création aurait lieu sur un autel où la matière deviendrait victime consentante. C’est aussi précisément le mouvement qui anime l’alchimie, discipline secrète permettant la conversion du plomb en or. Cette transmutation est avant tout un mouvement de dépassement opérant le passage (c’est-à-dire à la fois le chemin, l’accès et l’enrichissement) d’une substance à une autre. Dans le but d’atteindre la pierre philosophale, le Grand Oeuvre ou l’élixir de vie, l’alchimiste développe des gestes et des outils, et notamment l’athanor, four philosophique et cosmique fondé sur un principe de distillation, de création de gaz et de vapeurs par réchauffement.
Matthieu Raffard, à la manière d’un alchimiste, créé un four sculptural, son athanor personnel, qu’il propose dans l’espace de la galerie, devenant à la fois atelier et laboratoire. Pour réaliser cette exposition, Matthieu Raffard a travaillé à partir de plusieurs sources ésotériques, et en particulier à partir de la lecture de Psychologie et Alchimie (1944) du psychanalyste Carl Gustav Jung. Celui-ci a projeté dans la mécanique alchimique le schéma de transformation propre à toute évolution de l’esprit humain. En s’appuyant sur l’alchimie, il met en évidence la « vie de l’esprit », quête de transformation de la matière psychique advenant à elle-même. A cet égard, Jung parle d’individuation, chemin par lequel l’individu se constitue comme Soi, c’est-à-dire comme l’unité de ses potentialités conscientes et inconscientes. Là encore, la distillation a lieu, l’eau se modifie par raffinement, la matière brûle, pour changer de forme et se métamorphoser.
Il y va pour l’artiste d’une recherche prenant sa source initialement dans une pratique photographique qu’il élargit sans cesse, l’amenant du côté du dessin et du volume, comme pour mieux nous dire que celle-ci serait également une opération alchimique de révélation du visible et de l’invisible, à travers des apparitions de zones d’ombres et de zones lumineuses. Ici, l’athanor devenu sculpture, ou peut-être machine célibataire, est un ensemble de fours en plâtre recouverts d’une fine couche de tessons d’argile broyés que l’on appelle chamotte, mais aussi d’objet rituels et de pièces en verre. Ils sont également composés d’alambics dans lesquels l’eau circule à travers des formes qui se déclinent, selon l’art alchimique (en méandre, vortex, triple œufs) et purifient l’eau par son mouvement selon les principes mis au point par l’ingénieur allemand Viktor Schauberger. On pense ainsi autant aux greniers en terre dogons à l’architecture arrondie et rugueuse, qu’à la sophistication des serpents de verre translucides des parfumeurs. Non loin du four, l’artiste présente deux images photographiques extraites de sa série Melanosis, tirages au charbon cryptés dans lesquels des surfaces noires semblent en lévitation au-dessus d’une matière grise, épaisse, et habitée de signes. La communication des supports est aussi constitution d’un langage complexe dont le sens se ramifie en permanence.