exposition / passée

PARRHASIOS, la découverte du pli

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Tout part d’un récit fixé par Pline l’Ancien, ce fameux duel pictural qui opposa Zeuxis à Parrhasios afin de déterminer lequel avait atteint le plus haut degré de perfection dans l’art de l’imitation. Zeuxis livra une coupe de fruit, quelques poires et du raisin qui faisait si bien illusion qu’un oiseau vint le becqueter. La victoire fut pourtant rendue à Parrhasios pour avoir représenté un rideau d’un tel réalisme que son rival lui-même s’y méprit, le pressant de dévoiler sa réalisation alors qu’il l’avait précisément sous les yeux. Comble du faux-semblant : le rendu parfaitement naturaliste s’avérait faire écran, empêchant de voir l’oeuvre peinte. C’est de ce trouble que les travaux récents de David Porchy procèdent. Au travers d’une série de dessins minutieux et de photographies minimales il propose à son tour une somme de variations autour du pli, se prêtant à l’exercice du trompe-l’oeil pour mieux finalement marquer l’écart avec la réalité. 
David Porchy met visiblement en oeuvre l’entreprise de précision que la mimesis requiert. Ses compositions graphiques sont particulièrement fouillées, et relèvent avec exactitude les plus infimes fronces qui animent les tissus dépeints. Une manière du détail qui tiendrait du vérisme. Surtout qu’il choisit de compliquer encore la donne en prenant quelquefois pour modèle des étoffes rayées ou semées de riches motifs floraux – l’une, particulièrement, bordée d’une frise géométrique dont l’entrelacs de lignes brisées vient par surcroît s’incurver pour restituer les ondulations du textile. La facture très particulière de ces dessins en accentue encore l’illusionnisme. Aucun cerne ne souligne le modelé. Les ombres, la sensation de relief sont traduites par un procédé très pictural, de larges plages de tons patiemment montés en couches successives. David Porchy travaille aux crayons de couleur, avec un geste juste suffisamment perceptible pour venir tendre les aplats ou infléchir les dégradés. Et cette façon toute en retenue lui permet de rendre au plus près les différentes textures, la fluidité ou le poids des drapés.

Il n’empêche, David Porchy ne vise pas la représentation scrupuleuse du monde visible. Il joue au contraire du contraste entre la fascination qu’exerce le rendu figuratif et le procédé de mise en forme par pli, lequel convoque cette spatialisation singulière propre au collage, au montage. Froissée, plissée, ramassée, la surface du tissu se trouve formellement réorganisée. Reconfigurée. C’est d’autant plus flagrant s’agissant des drapés à motifs : certaines parties font surfaces, assurant la lisibilité d’une portion de l’imprimé, alors que d’autres se dissimulent – ce processus faisant émerger certains détails au détriment d’autres, Freud l’appelle « déplacement ». Plus encore : dans les plis et replis, des fragments auparavant disséminés entrent maintenant en contact et génèrent une nouvelle image, ouverte à interprétation – cette forme d’association qui occasionne tout un jeu de glissements entre les signifiants, Freud la nomme « condensation ». Dans le travail de David Porchy, le pli est moins un motif qu’une intention. Un geste qui bouleverse la topographie du dessin. Dessin en définitive bien loin du simulacre dont il emprunte les codes, puisqu’il use de la ressemblance pour faire apparaître la déformation de la représentation.
Et les propositions photographiques confirment. D’abord ces deux grands formats immersifs. Bien qu’il s’agisse d’images indicielles, découpées directement dans le monde, la prégnance de ces vastes étendues de couleurs unies n’est pas sans rappeler d’autres colorfields : car malgré les démarcations très graphiques des plis l’imposante surface colorée, plein cadre, ininterrompue, accuse d’une certaine façon la planéité de son support. Peut-être aussi est-ce une question de teinte – ce bleu, ce vert si proches de ceux des fonds d’incrustation. Ersatz évoquant la surface matérielle de la toile enchâssée ou potentielle surface d’accueil virtuelle… Là encore, le drapé dit sa condition de substitut. En travaillant ce thème du pli David Porchy n’a de cesse de proposer des images qui déréalisent la réalité. Jusqu’à cette conclusion, dans ces petits formats sur dibond, trois clichés de différents états d’une toile blanche : l’une montre le bord du tissu qui soudain rebique, ménageant une crevée au milieu d’une masse chiffonnée. On guettait l’ouverture, mais la brèche ne dévoile qu’un aplat noir, insondable, par lequel David Porchy nous délivre cette lecture de la peinture de Parrhasios : derrière le rideau, il n’y a rien – rien d’autre que le désir de voir quelque chose derrière le rideau.

Marion Delage de Luget

œuvres exposées

vue de l’exposition

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