Réalisation in situ / exposition marta budkiewicz / passée
Ligne(s)
La "réalisation in situ" de ce projet de dessin se déroulera selon deux protocoles précis pour s’inscrire dans l’espace de la galerie.
Il y a des directions données, les points de départ et d’arrivée mais tout ce qui va advenir au cours de la réalisation de ce projet est soumis à des variations, à des éléments qui pourraient perturber et influencer la trajectoire finale de la ligne. Toutes les lignes naissent du même geste, mais la part d’imprévu, le hasard ou simplement l’erreur dans l’exécution orientent ce travail vers une imperfection libératrice et déterminent son caractère unique.
A travers la ligne, c’est une fragilité qui s’installe progressivement sous la rigueur imposée de la réalisation.
Un enclos de pardon
par Didier Semin
« Le monde de l’art n’est pas le monde du pardon », écrivait René Char. On peut, bien entendu, interpréter de mille manières cette formule aussi lapidaire qu’impitoyable. Mais elle doit nous faire ressouvenir que les artistes auront passionnément aimé les querelles et les hiérarchies. Entre les arts, entre les genres, entre les techniques. Longtemps, les peintres ont ainsi vu la ligne et la couleur comme deux adversaires. La ligne relevait de l’intellect, de la raison, la couleur de la passion, et de ses emportements. La musique, pareillement, a été considérée tantôt comme un modèle, parce qu’elle n’imitait rien, et parlait directement aux sens, tantôt comme un repoussoir, parce qu’elle ne parlait justement qu’aux sens : vibration à l’unisson de nos propres viscères et du boyau de chat (dont la légende voulait qu’on fît les cordes de violon), disait Marcel Duchamp ... La couleur était trompeuse et dangereuse (autant dire, dans un univers autrefois largement misogyne, féminine), le dessin rassurant (et, partant, du genre masculin). Il y a évidemment longtemps que l’on a rangé ces métaphores sur les étagères de l’histoire inégalitaire ...
Marta Budkiewicz accompagne les dessins de son exposition d’un enregistrement sonore de leur tracé. Bruit parasite, dira-t-on peut-être, ou difficulté pour l’artiste de couper le cordon ombilical qui la relie à la musique ? Il se peut qu’en réalité cette modeste intervention du son (donc du temps) dans un art de l’espace soit finalement très juste, comme la captation par le micro des fameux murmures de Glenn Gould lors de ses enregistrements. Ces murmures ne sont pas de la plume de Bach : mais tout comme le rythme souvent lent de Gould, son phrasé moins coulant qu’il n’est requis dans le jeu académique, mais proprement génial, ils participent de l’humanité de la musique de Bach (dont on dit volontiers, avec une douce ironie, qu’elle serait capable de conduire vers Dieu un mécréant ...) quand elle s’incarne. Marta Budkiewicz, dans ses rythmes de lignes, n’essaie pas d’imiter la musique, comme beaucoup d’œuvres des avant-gardes du XXe siècle ont tenté de le faire. Elle met, en revanche, au service de la respiration du dessin sa parfaite connaissance de la musique, elle appelle le corps au secours de l’esprit, dans la perspective, non de cette synthèse des arts dont nombre ont autrefois rêvé, mais d’une plus modeste et sans doute plus généreuse conciliation des arts : pas le Gesammtkunstwerk wagnérien, mais un petit enclos de pardon où musique et dessin se donneraient l’accolade…