progress by #3 / duo / passée
progress by #3 / Partout, sauf en face
Car voilà, cette fois-ci le mur de la galerie n’appelle qu’une contemplation passive. Rien à y voir. Gwendoline Perrigueux et Marion Robin ont pourtant toutes deux œuvré in situ, mais ailleurs – délaissant tout rapport d’enfacialité, enfreignant résolument cette organisation fronto-parallèle de la cimaise (ou du socle) qui s’aligne, à hauteur d’œil, sur la verticalité du corps.
Marion robin a peint au sol. Elle a méticuleusement relevé le réseau de fissures structurelles – des plus évidentes aux plus ténues – qui viennent par endroits strier la chape de béton. De ces lignes trouvées, elle a déduit une partition subdivisant le support en zones. Puis assigné une couleur, appliquée en aplat, à chacune des aires ainsi circonscrites entre les lézardes. La peinture prend corps à l’horizontal, passant outre notre assise d’êtres érigés, et devient un champ sur lequel le regard se penche, de haut en bas. Un champ qui ne s’envisage pas mais s’arpente – sinon, comment l’embrasser ? –, expérience autant visuelle que physique. Une peinture que l’on foule, et qui, sous le pied, rappelle la précarité de sa condition d’œuvre éphémère.
Marion Robin procède du lieu et investit directement l’architecture. Elle réagit à une situation - le lieu donné, ce qui l’habite - pour explorer les potentialités de la peinture dans le champ élargi. Ici, ce geste postmoderne visant à déborder les limites du cadre et de la toile conflue comme à contre-pied aux prémisses de l’acte pictural. Car en trouvant son point de départ dans le support architectural, Marion Robin renoue avec les principes de la peinture murale, renvoyant aux productions pariétales où une anfractuosité, un renflement de la paroi rocheuse pouvaient occasionner le motif peint. Mettre en exergue les fissures pour dépeindre une propriété ténue, délaissée du lieu ; puis par glissement laisser poindre une autre acception du signifiant - au figuré cette fois, la fêlure, la faille.
Gwendoline Perrigueux a investi le plafond pour y déployer une suspension zénithale. La pièce se compose d’un réseau de lignes noires enchevêtrées dont les boucles pendent avec une certaine mollesse entre les points de fixation qui les arriment dans les hauteurs. Pour matériau, un feuillard – lien de cerclage plat en polyester mat, choisi pour ce qu’il combine des propriétés de souplesse avec une relative rigidité. Pendu de place en place, ce ruban engendre librement des formes quelque peu hasardeuses, à chaque fois différentes : en droite ligne de l’anti-forme, le dispositif laisse le feuillard s’organiser lui-même, entièrement gouverné par son poids, sa texture, son profil. Sculpture « hors sol » qui s’anime d’une tension constante entre chute et élévation.
Maintenue en lévitation, la pièce marque donc la distance avec la surface de déambulation. Et cette situation fait qu’elle s’immisce plus qu’elle ne s’impose dans le champ visuel : pour regarder vraiment il faut, tout en déambulant, basculer la tête, au risque d’un équilibre momentanément hésitant. La structure, ajourée, trouve à se soustraire encore aux chaînes opératoires usuelles en laissant circuler le regard, s’intriquant visuellement à l’environnement immédiat. Gwendoline Perrigueux brise le quotidien des positions dans l’espace. Son installation orchestre un conflit entre gravité et matière, et elle expose au vide – perturbation des repères, comme dans certains sports ascensionnels qui ont cette éviction des points d’assurance pour moyen, mais aussi pour finalité et valeur. Joie du vertige.
Marion Delage de Luget, Gwendoline Perrigueux et Marion Robin ont élaboré ce projet avec la volonté de ne figer ni le sens ni la présence des œuvres. Mettre à l’épreuve l’assiette phénoménologique, et se placer en situation de considérer autrement la supposée stabilité des perspectives. Laisser le mur à nu. Et la proposition traduit également cette nécessité impérieuse : besoin d’espace. D’espace vide, s’entend. De cette distance nécessaire entre deux positions pour que quelque chose puisse transiter de l’une à l’autre. De ce « blanc » séparateur autant que conjonctif où peut survenir l’échange.
Marion Delage de Luget
Vues d'exposition © Margaret Dearing