Exposition solo / passée
salon de progress #7 / plɛd
...comme des notes d’atelier.
A l’atelier, sur l’étagère du haut, on voit des caisses et des cartons pour que les œuvres soient protégées, enfin c’est ce qu’on suppose….
On imagine aussi quelques sculptures rapidement recouvertes de papier bulle.
Sur chacune d’elles, on peut y lire en typo Arial les noms : BORFLEX, DESBORDES, HEUILLE, SAVERGLASS, CRI, MARIT … : ce sont des entreprises.…et parfois en dessous des noms il y a des sous-titres : BORFLEX - Col roulé, DESBORDES - Cônes, TUBOLASER - Cornière , SAVERGLASS - Goutte … On comprend que, dans ces caisses plus ou moins lourdes, sont entreposés en vrac des objets industriels - ils attendent que je sois prête à les sélectionner pour les assembler et les agencer dans l’espace de l’atelier. Tout cela, pour le plaisir d’apprécier la mutation de leur portée plastique une fois isolés de leur nécessité d’origine.
En plus, chacun de ces objets me raconte une expédition, un repérage, en entreprise.
Je reviens sur mon butin stocké dans l’atelier. C’est un flux permanent car je jette beaucoup et régulièrement. Je choisis les chutes, les excédents, les malfaçons et les objets créés sur site. Ceux-là resteront dans ma matériauthèque. Le système d’évaluation de ce qui est gardé ou pas est totalement opaque pour les personnes extérieures. C’est une question de besoin et d’intuition. Dans une sorte de vacance poétique, les objets ne seront pas repris pour eux-mêmes mais plutôt utilisés.
Comment suis-je arrivée à être entourée d’autant d’objets ?
Une mère brocanteuse, un père ingénieur.
Pour moi l’objet a toujours raconté des histoires, intimes & familiales ou collectives & fonctionnelles.
En classe de 5ème, nous avions des travaux pratiques à faire à la maison : étudier un objet mécanique de son choix. J’ai pris notre grille-pain, l’ai totalement démonté à l’image de Tati avec son vélo… plus je démontais, chaque pièce me fascinait. Je les portais à la vue et les dessinais. Bien entendu, cette initiation plastique de la mécanique s’est terminée par l’incapacité de remonter la machine, ma mère a dû en racheter un. Je fus punie.
Thomas Thwaites, le designer, a essayé de créer un grille-pain seul et à partir de rien. Son expérience a permis de souligner le travail invisible qui se cache derrière chaque pièce détachée de l’objet et, pour cela, il apprend à faire de l’acier, du plastique. Après plus d’une année de travail, il réussit à construire son propre grille-pain qui, pendant quelques secondes, réchauffe une tartine, avant de se mettre à fondre. Cette métaphore permet de comprendre l’importance de la coopération sociale et de la transmission d’un héritage.
L’objet technique serait donc au cours de « sa vie » traversé par des sphères de connaissance partagée.
Je retourne à mon stock. Celui soigneusement rangé, dans les caisses, les bacs et les racks de mon atelier.
Épreuves d’usine
Tout sortir !
Objets industriels bruts, orphelins, seuls ou associés et pièces finies, autrement dit « les œuvres » - La distinction est parfois mince. Je mélange tout, les accroche ou les scratche au mur comme des trophées, et les regarde à nouveau. Tout ça dialogue joyeusement sur le mur comme un poème ou comme une chanson «...regardes à nouveau ce que tu vois si souvent!!...retrouves l’étonnement..! »
Ce mur d’objet à l’atelier est un instantané en perpétuel mutation, ça bouscule la frontière entre la sphère de la production à échelle industrielle et à l’échelle d’un atelier de peintre/sculpteure. Hum…plutôt d’un atelier d’assembleuse.
Épreuves d’atelier
Couvrir pour mieux voir, pour préserver les particularités de l’objet et lui redonner de la puissance….
Avec un plaid 1 ou pled 2 – plɛd étant la phonétique, le Chant - je dépose une couverture sur une composition d’objets et recouvre le tout de bandelettes de papier Popset.
Mes doigts ressentent chaque point de contact, chaque pression, je caresse les objets et repousse la matière, de hauts-reliefs apparaissent. L’adhérence du papier et de la colle sur le corps de l’objet fait ressortir visuellement et tactilement sa forme « floue ». Le résultat n’est pas son imitation parfaite mais plutôt un objet pris sous une couverture de protection, un écrin léger en papier, un masque, une momie…. une archive, une empreinte colorée « …c’est un objet « accompli » puisqu’il a « été »3. - De nouveaux horizons, des collines…
Retour à l’usine
Se re-servir d’une œuvre de 2015 fabriquée dans une entreprise du Nord de la France pour en fabriquer de nouvelles dans une entreprise de Lyon. Je marie deux entreprises, deux savoir-faire. L’une, C.R.I. 5, fabricante de matière de construction et d'installation de toitures en fibro ciment, l’autre, ICM 6, spécialiste de la chaudronnerie plastique et distributeur de matériaux recyclés. Ces deux techniques de fabrication m’ont incitée à vouloir couvrir les objets de l’atelier. En y déposant une matière molle, les plɛds
figent la mémoire des formes industrielles.
Sylvie Ruaulx
1 plaid: tissu léger et douillet, généralement utilisé pour se couvrir ou pour décorer
2 pled: une couverture en laine, plus épaisse et plus chaude, qui peut être portée comme un manteau ou une cape.
3 Georges Didi Huberman, L' Empreinte, édition Centre Georges Pompidou, 1997
4 C.R.I anciennement appelé ETERNIT, entreprise de matière de construction et d'installation de toitures en fibro ciment fermée depuis 2019 – Valenciennes
5 ICM spécialiste du plastique et du composite – Lyon