Exposition solo / passée

Dérives

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Exposition ayant reçu le soutien du CNAP centre national des arts plastiques ( aide au premier catalogue )

“[…] au lieu d'être celui dont vient le discours,
je serais plutôt au hasard de son déroulement,
une mince lacune, le point de sa disparition possible”.
[Foucault, L’Ordre du discours, 1971]

Marie-Anita Gaube peint des mondes, des univers qui ont toute l’instabilité d’un conte fantastique, d’un souvenir éphémère ou d’une obsession féérique. Tour à tour lyriques ou hallucinatoires, ses tableaux sont le fruit d’un tissage de références et de suggestions qu’elle glane dans ses recherches iconographiques quotidiennes et qu’elle compose selon un principe de montage proche du collage surréaliste ou du montage cinématographique.
Construits par un jeu de cadrages et décadrages à la fois visuel et narratif, les œuvres de Marie-Anita Gaube sont des palimpsestes, des rebus de fragments spatiaux et temporels qui s’enchâssent les uns les autres. Ces enchevêtrements font des images autant d’épiphanies, des constellations où le temps se cristallise en image : “Comme les battants d’une porte, comme les ailes d’un papillon, l’apparition est un perpétuel mouvement de fermeture, d’ouverture, de refermeture, de réouverture… C’est un battement”.
Mais ils sont aussi des capricci de ruines modernes. Le réel et le fantastique, l’intertextualité érudite et l’élan imaginaire s’y confondent, le long de l’axe qui conduit des vedute impossibles de Canaletto aux allégories inquiétantes de Goya.

Les figures qui constituent la syntaxe du travail de Marie-Anita Gaube ne sont pas sans évoquer certaines des plus illustres peintres du fantastique : de Jérôme Bosch à Peter Doig, en passant par Odilon Redon et James Ensor.
Sur la toile, ces figures tantôt timides, tantôt maladroites se rencontrent dans un univers précaire, un théâtre dont le ciel de papier pourrait se déchirer à tout moment, comme dans le Feu Mathias Pascal de Pirandello. Les ambiances qui les accueillent sont parfois des huis clos à la Samuel Beckett, parfois des forêts luxuriantes où tout est “luxe, calme et volupté” : autant de fonds diaphanes pour des récits faits d’indices visuels et d’univers oniriques qui se télescopent dans un espace intermédiaire et énigmatique.

Dans les toiles les plus récentes de Marie-Anita Gaube, à l'image des places de la peinture métaphysique de Chirico, la figure humaine est souvent l’indice d’une absence ou d’une virtualité : relégué dans les marges, saisi par des détails, évoqué en creux, l’homme habite l’espace de la toile comme trace d’une présence bientôt anachronique ou future, dessinant, autour du désir d’un événement, la figure d’un suspense ou d'une attente.
Tendu entre scène, scénographie et paysage, l’espace qui reste est dès lors un décor blessé, les objets qui l’habitent sont des idoles à la Francis Bacon, tandis que la perspective, les jeux d’échelles et de motifs se dressent en invitations trompeuses à passer à travers le miroir.
Ces scènes se construisent par un jeu de contrepoids et de glissements entre épaisseurs et transparences, détails pigmentaires précieux et surfaces nues, renvois figuratifs et retours réflexifs sur la matière et le support, dans un corps à corps direct entre le peintre et la toile. La forme picturale s’y structure par et dans la couleur, selon une palette antinaturaliste puisant ses racines tant dans la tradition expressionniste et fauve que dans les imageries techno-artificielles contemporaines.

Les tableaux qui en résultent esquissent l'instant où le réel rencontre et glisse dans la chimère, le long du même seuil ambigu qui fait la fascination intemporelle des œuvres du réalisme fantastique, du début du XXe siècle à nos jours.
Si elles s’enracinent dans une tradition picturale classique, les œuvres de Marie-Anita Gaube articulent en revanche un réseau de temporalités croisées où le passé court-circuite avec le présent sur le plan naturellement dystopique de l’imagination.
Voici qu’un menu détail – un homme arborant un masque anti-gaz, un voile de couleurs chimiques – pourrait nous suggérer les scénarios typiques de la science-fiction contemporaine. Voici qu’un simple changement de perspective pourrait faire basculer la fête foraine en banquet infernal, la comédie en tragédie, l’homme et son monde en carnaval de masques grotesques, forêt psychédélique de symboles déroutants et déroutés.
Au cœur de ces tissages ambigus où chaque image suggère, dessine et cache son revers, des rituels détournés, des mythologies ubuesques faites de fragments à la dérive, de “citations sans guillemets”, de signes aphasiques, d’écarts silencieux dans les interstices desquels se tisse le discours.

Ainsi, dans les caprices picturaux de Marie-Anita Gaube, le rêve devient un véritable chronotope narratif, à la fois temps et espace de toute image qui se dévoile et de toute action qui se déroule. Comme l’écrivait Queneau en exergue aux Fleurs bleues, en citant Platon, “ ôvap àvxi ôveipaxoç” : rêve pour rêve.

Viviana Birolli

œuvres exposées

vue de l’exposition

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