exposition solo / passée
Epissure
Géraldine Gonzalez réalise des pièces singulières. Elles sont aisément reconnaissables : ce sont des filaments de cristal, des colliers d'ombres, des torsades lumineuses. Ce sont un peu de fil, des perles, des ampoules, du gaz, du papier irisé et, surtout, un grand savoir-faire.
Évidemment, on pourrait rapprocher cette aisance à fabriquer ces pièces d'un artisanat précieux. Le visiteur n'aurait pas tort puisque Géraldine Gonzalez réalise aussi des objets dits de décoration. Cependant, ici sont rassemblés non pas de simples objets que la créatrice aurait choisis parmi d'autres mais bien des sculptures — celles qui laissent échopper un doute sur ce qu'elles nous donnent à voir et, à fortiori, à penser.
Ainsi, on trouvera dans cette exposition un Coeur qui palpite, une Balançoire qui s'avance et qui s'éloigne. Il y a une Corde et puis un Oiseau. Il y a des lettres qui crépitent et qui semblent être ce que leur assemblage nous donne à lire : Fragile.
Est-ce alors cela — une apparente fragilité — qui relierait ces pièces ? A y regarder de près , il n’y paraît pas. Si les lettres crépitent, n’est-ce pas pour que leur message nous interpelle d’avantage que si ce mot "fragilité" était, comme le courant, continu ? Bien sûr, on pourrait penser que ces lettres sont proches de l'extinction et que cette fragilité est inhérente à la perte mais on objectera pourtant qu'elles éclairent et que, en définitive, l'extinction n'aura pas lieu… du moins, pas encore. Quant au Coeur, façonné d'un fin filament de néon dégageant une lumière de plus en plus intense, il joue lui aussi sur cette ambivalence : est-il sur le point de cesser de battre ou au contraire de se mettre en mouvement et d'être à la vie ? A moins qu'il ne soit en suspend, dans un entre-deux, sans que l'on ne sache vraiment de quel côté — vers l'ombre ? vers la lumière ? — il ira finalement.
Dans ce même entre-deux, fait de perles de cristal associées à des diodes, une Balançoire en mouvement d'où, de temps à autre, s'échappent quelques notes de guitare électrique. Il y a là aussi un trouble : en se balançant, elle est alternativement pleine d’une promesse érotique — on pense aux jeux de balançoire de la peinture de Fragonard, par exemple — et en s'éloignant, une présence fantomatique pareille à un personnage subitement disparu, ne laissant de son passage qu'un élan suspendu.
En somme, à l'instar de cet Oiseau dont l'ombre projetée irise sol et murs, les œuvres de Géraldine Gonzalez sont un savant assemblage de matières, de mouvement et de lumière. Quant à la Corde, épaisse comme pourrait l’être un animal ou quelque masse organique, elle s'apparente à celles qui tiennent la Balançoire et que ces deux œuvres ci ne sont pas éloignées du Cœur : ces pièces sont faites d'épissures — un agglomérat de câbles, de vaisseaux, de filaments, mis bout à bout par entrelacements pour former un épais cordage. L'épissure est alors ce qui fait union, qui rend plus solide, qui associe les forces, qui autorise l'attache, qui permet d'ajouter sa singularité à l'histoire des autres : de ne plus, de ne pas, être fragile, donc.
Les œuvres de Géraldine Gonzalez renvoient souvent à une histoire personnelle. Elles font le lien entre un passé, un présent, un avenir ; elles font lien entre un je, un tu, un il, un elle, bref, ces quelques vies qui nous importent, qui sont ce que l'on pourrait appeler des épissures d’un nous. Pour finir, on ajoutera que le nœud qui termine une épissure s'appelle un œil ; un œil épissé. Voilà qui sied parfaitement au regard délicat, mais aucunement fragile, de Géraldine Gonzalez.
Alexandre Mare