Exposition solo / passée

salon de progress #10 / Fragile

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Pour la deuxième exposition solo de Guillaume Mary, la galerie présente ce qu’il y a "avant" la toile.
Quasi toujours à la peinture, multiples et nombreuses, ce seront des esquisses, des croquis, des dessins, des maquettes qui forment un corpus d’œuvres aussi fragiles que fondatrices.

Conversation entre Guillaume Mary et Christophe Alalof à l’occasion de l’exposition Fragile :

Quel est ton ressenti par rapport à la fragilité ? À quels moments en prends-tu conscience ?
Dans ma relation au monde, je peux fonctionner, vivre, faire des choses, etc, mais j’ai l’impression que, plus le temps passe, plus je ressens la fragilité du monde. Il y a aussi cette fragilité dans ce que je produis, finalement. Je viens plutôt de l’aquarelle, de la gouache, de techniques assez légères. J’ai souvent réalisé des œuvres avec des matériaux fragiles, des épaisseurs de peinture à la limite de la disparition, des tissus translucides parfois, etc.

Comment cette fragilité se manifeste-t-elle lors de ton processus créatif ?
La fragilité, pour moi, correspond à la disparition des choses, des êtres ou même des paysages. Quand l’idée d’une œuvre me vient, je ne me sens pas fragile, mais plutôt en contact avec quelque chose qui l’a été et qui remonte à la surface. Cela me permet de travailler, de construire.
Et là, cette fragilité devient une force. C’est donc alors l’inverse de la fragilité, quelque chose qui relève du désir. Quand il s’agit, à partir d’une esquisse, de passer à un format plus grand, il y a une petite sensation de doute au moment de commencer, et même pendant sa réalisation, jusqu’au moment où finalement je sais que l’œuvre est finie.Et à ce moment-là, je sens qu’il y a quelque chose de moins fragile. Il y a quelque chose qui est présent, fixé, qui existe vraiment.

Peux-tu m’en dire plus sur les matériaux, en particulier ceux qui pour toi expriment le mieux cette fragilité ?
Dans cette exposition, il y a beaucoup d’extraits de carnets avec de petites feuilles de papier très légères qui absorbent bien l’eau.Il y a aussi des récupérations de tissus, de vieilles toiles. Les tissus sont posés, assemblés, mais rien n’est vraiment arrimé, ça pend. Et cela, pour moi, c’est un ressenti proche du relâchement. La peinture, même lorsqu’elle est à l’huile, n’alourdit pas le tableau. Ce sont, le plus souvent, des jus colorés avec très peu de matière en épaisseur, qui me permettent une légèreté de la touche.

Peut-on dire que les supports, les matériaux utilisés, sont finalement comme un miroir de cette fragilité, et que leur utilisation serait pour toi un moyen de souligner la fragilité de l’élaboration d’une œuvre ?
Oui, c’est en effet ma manière de sélectionner ces matériaux. Par exemple, dans l’exposition, je présente des drapeaux qui sont en fait des rebuts d’atelier, c’est-à-dire des morceaux de la vie de l’atelier qui sont récupérés au fil du temps avant de disparaître pour de bon. Quelque part, c’est comme dans un jeu. Ils sont là, je les affectionne pour leurs qualités de matériaux et je veux en faire quelque chose. C’est donc pour jouer avec eux, tout en veillant à ce qu’ils ne disparaissent pas.

Tout cela semble avoir un lien avec la fragilité de la mémoire ?
La toile qui ouvre l’exposition s’appelle Fontaine au jardin et elle parle de ça. Elle parle d’un endroit, d’un jardin de mon enfance. Dernièrement, je suis retourné voir ce jardin clos. J’ai regardé par-dessus le muret et ça m’a fait plaisir de le revoir. Il ne ressemblait absolument pas au tableau, mais il était encore là, toujours existant.

Il y a donc d’un côté la préservation d’une existence et, de l’autre, sa disparition inéluctable ?
Le tableau Fontaine au jardin est noir et rose, très contrasté, parce que c’est un peu ces deux choses-là. Il y a du vivant : le jet d’eau de la fontaine dont on pourrait entendre le son. Le fond noir peut sembler menaçant mais il met en valeur le rose. Souvent, dans mes tableaux, il y a un côté positif et un côté plus dramatique. Cela me fait penser aux jeux des enfants. Quand ils jouent avec des petits cubes ou des petites barres en bois, ils construisent des choses qui deviennent réelles, mais qui semblent toujours extrêmement fragiles. D’ailleurs, ça finit toujours par se casser la figure. Par exemple, pour la toile intitulée Fragile, le rose est presque en train de disparaître et l’ensemble est un peu ténu. Ça semble solide, mais la forme rappelle quand même quelque chose qui va finir par tomber.

Cela me fait penser à un jeu dans lequel tu mets en œuvre une forme de joute entre le drame (celui de la disparition) et la joie (de garder malgré tout la mémoire) ?
Oui, c’est une sorte de bataille entre quelque chose de lumineux et quelque chose de sombre. Et le but, c’est d’arriver à marier les deux. J’ai l’impression que c’est ce qui permet de tenir « debout ».

Il y aurait donc une forme d’engagement à travers ta peinture à être finalement le témoin de quelque chose du passé dont tu es peut-être le seul dépositaire.
Je pense qu’on est tous les dépositaires de ce qu’on a enregistré et vécu. On n’est pas obligé d’en faire quelque chose, mais pour ma part ça m’aide à accepter la disparition des êtres et des lieux. Dans l’exposition, il y aura deux petits tableaux, Maison des bois, qui reprennent justement la maison de mon enfance. C’est une maison que j’ai toujours eu du mal à peindre, parce que ça restait assez conflictuel en moi. Mais le jour où je l’ai peinte de mémoire, juste avant qu’elle ne soit rasée, j’ai eu le sentiment qu’elle m’avait signalé qu’elle allait disparaître. La peindre m’a permis de continuer à la faire exister.